“Le mot « crise » en chinois est représenté par deux idéogrammes qui signifient danger et opportunité. Il y a toujours dans une crise la possibilité de changer, de s’ouvrir à autre chose…” Frédéric Lenoir, Interview Ouest France, le 29/03/2020
Drôle quand on pense que la crise sanitaire que nous vivons vient précisément…de Chine.
N’empêche, c’est ma conviction profonde. Si nous avons eu notre compte d’angoisses, de drames et de scénarios catastrophes, il ne faut pas oublier l’autre versant.
Ces autres histoires qui méritent d’être racontées ; celles qui intéressent le conteur digital que je suis.
De nombreuses entreprises ont saisi cette “occasion de prendre des tournants innovants qui auraient mis beaucoup plus de temps sans ce contexte particulier.” C’est Lucie Coulon, Head of Growth à la Wild Code School qui prononce ces mots.
Dans cette interview, elle raconte la façon dont cette école qui forme des professionnels du numérique a réagi face au confinement.
Alors même que la Wild Code School reposait entièrement sur des cours en présentiel.
Quand vous apprenez la nouvelle du confinement, quelle est votre réaction ?
Lucie : on a vécu les choses un peu en amont, parce que nous avons un campus à Milan.
Quand c’est arrivé en Italie, nous étions en contact avec le campus manager sur place. Au début, il nous a dit : il ne faut pas s’affoler. Il y a une surréaction. Moi, je vais continuer à aller à l’école. La vie continue. Business as usual.
Ça nous a rassurés.
Et au bout de deux semaines, le campus manager a changé de discours. Il nous a alertés. À ce moment-là, la France était encore très loin de tout ça. Il nous a dit : c’est très dangereux. Ça arrive. Et c’est massif. On a mis trop de temps à réagir. Ne faites pas la même erreur que nous.
Le gouvernement italien avait ordonné le confinement.
C’est Anna Stépanoff — fondatrice et CEO de la Wild Code School — qui a compris ce qui était en train de se passer avant toutes les autres personnes de l’équipe. Elle s’est renseignée et elle a analysé la situation.
Et mercredi soir [le 11 mars], nous prenons la décision de fermer tous nos campus le lundi suivant. Finalement, on a eu quelques jours d’avance sur les établissements qui ont attendu la consigne gouvernementale.
À ce moment-là, Anna nous a dit : ça ne va pas durer deux semaines. On est fermé pour au moins deux mois. C’est sûr.
Donc dès le début, on s’est préparé à quelque chose qui allait être long et qui allait profondément changer la manière dont on allait faire de la formation.
À partir de ce moment-là, qu’est-ce qui se passe ? Comment vous abordez cette situation ?
Lucie : On arrête tous nos projets en cours. On devait refaire notre parcours de candidatures. Il y avait de nouvelles fonctionnalités qui devaient sortir sur notre plateforme pédagogique. Il y avait aussi notre plan d’acquisition d’élèves pour la rentrée de septembre. Tout ce travail de fond mis en standby.
Les premières semaines ont été consacrées à se réorganiser tout d’abord en interne. Il fallait assurer la continuité de la formation à distance pour l’ensemble de nos 450 élèves en France et dans 11 autres pays européens.
Ce n’est pas : OK, on bascule tout en ligne et c’est fini.
Nous avons mis en place un plan de communication vis-à-vis de nos équipes, de nos élèves et anciens élèves et de notre plus large communauté. Le premier objectif était d’informer et de rassurer.
On s’est beaucoup concentré le premier mois sur la bascule vers une formation à distance. Il y avait beaucoup de temps d’écoute. On envoyait des sondages à nos élèves chaque semaine pour savoir où ça se passait bien et où ça n’allait pas.
Ce temps d’écoute, il était hyper important. Si l’on compare les résultats que nous avons aujourd’hui à ceux d’avant la crise, le taux de satisfaction est meilleur.
Et juste après, la question était : “comment on peut être utile”. Il y a plein de gens qui sont bloqués chez eux.
Assez naturellement, on a pensé à des webinaires. Des événements qu’on avait l’habitude de faire sur campus et qu’on n’avait jamais expérimentés en ligne.
On pensait que la valeur ajoutée, c’était nos campus. Les gens aiment se retrouver sur un lieu. Cette dimension physique était hyper importante.
Là, on n’avait plus le choix. On a mis en commun les ressources de tous nos campus et on a fait un plan assez ambitieux d’événements : les tech workshops ou des wild talks avec des invités ou nos propres formateurs sur des sujets tech ou autour de la tech. Et on a préparé cette offre événementielle en ligne assez dense, 2 à 3 événements par semaine.
On a aussi développé un nouveau produit, le prep course. C’est un cours de préparation aux métiers tech qui dure une dizaine d’heures. Il est entièrement gratuit.
On a construit tout un storytelling autour pour apprendre en voyageant et en s’amusant.
Tu es à l’époque de la Grèce antique. Tu embarques sur un bateau avec pour mission d’aider Jason à rechercher la toison d’or. Et tu vas pouvoir tester tes compétences de data analyste et développeur web et voir si ça te plaît.
On a pris le temps de le faire, alors qu’on n’avait jamais le temps avant ça.
Il n’est pas fait pour recruter des gens tout de suite, pour la rentrée de septembre. Il s’adresse plutôt à des gens qui sont encore assez éloignés du monde de la data ou du code.
C’est vraiment de l’acculturation ou de l’évangélisation.
Le confinement nous a permis de sortir ça. On aurait mis plus de temps à le sortir dans un rythme classique.
Vous avez dit que cette crise allait changer profondément votre manière de faire de la formation. Pourquoi ?
Lucie : Avant la crise, notre formation était ancrée dans nos campus qui étaient des lieux de vie et de rencontres. Et cette dimension présentielle nous semblait hyper importante dans notre modèle pédagogique. Avec le passage en remote, et toute la réorganisation que ça a entraînée, cela nous a poussés à repenser notre manière d’enseigner.
On s’est rendu compte que ce qui comptait vraiment pour faire une formation c’était l’équipe, les formateurs et les campus managers sur qui repose le bon déroulé d’une formation.
Et les bons outils, à savoir notre plateforme pédagogique, mais aussi Slack, Discord, Google Meet, et tous les autres qu’on utilisait en réalité déjà avant la crise.
Ensuite, la valeur ajoutée de la Wild Code School repose dans la mise en mouvement de tous ces éléments à travers un planning, des rituels quotidiens, une culture commune. Et c’est là où nous sommes forts.
Et le campus n’est en réalité qu’un outil parmi d’autres, un serveur discord bien paramétré peut remplacer d’une certaine manière l’espace d’un campus.
Quelles difficultés vous avez rencontrées ? Qu’est-ce que vous n’aviez pas prévu ? Comment vous abordez ces barrières ?
Lucie : Tous nos formateurs et campus managers n’avaient pas une très bonne connexion internet et de bonnes conditions de travail, on a dû acheter des clés 4G et on leur a envoyé.
Après, il a fallu gérer les inquiétudes des élèves et des membres de l’équipe qui se sont retrouvés isolés, passer d’une culture très communautaire à rester chez soi face à l’écran. Cela peut être difficile à vivre psychologiquement. Il a fallu être beaucoup à l’écoute, beaucoup rassurer, se rendre plus disponibles et s’adapter.
On a eu des élèves qui avaient leurs enfants à la maison. Ils ne pouvaient pas suivre des cours toutes la journée. On les a regroupés pour les faire travailler le soir, après 20h. On a ajouté des cours de soutien.
Et pour certains, on leur a proposé de reporter leur formation à la session de septembre. Sur 450 élèves, on en a eu une vingtaine qui a choisi cette option.
Plus globalement, nous avons pris la décision de proposer une réduction de 10 % pour tous les élèves du fait du passage en remote.
Qu’est-ce que vous avez appris dans cette expérience ?
Si l’on fait le bilan de cette évolution en temps de crise ?
Lucie : En septembre on lance des classes 100 % à distance. On ne l’avait jamais fait. Il s’agit d’une formation de 5 mois que les gens font depuis chez eux en data analyste ou développeur web.
Et l’on rencontre une demande énorme.
Alors qu’on se disait avant : c’est l’un ou l’autre (présentiel ou à distance), on se rend compte que ça a beaucoup de sens de faire les deux en même temps. On touche un public qui veut apprendre depuis chez lui.
On a eu 3000 personnes inscrites à nos webinaires sur mars et avril. On n’avait pas autant de personnes qui venaient sur les campus.
Même si ceux-ci vont rouvrir en septembre, on va continuer cette offre en ligne.
On a compris que notre valeur ajoutée est justement dans la complémentarité du remote et du présentiel. On s’appelait déjà formation en blended learning mais ce mot prend un nouveau sens.
Nos élèves vont pouvoir suivre la formation en remote, mais aussi venir sur nos campus participer à des événements ou des job dating. Et nos élèves qui font la formation sur un campus pourront encore davantage accéder aux ressources et à la communauté en ligne grâce au développement de nos formations en remote.
Finalement, cette période était comme un laboratoire pour tester des choses que nous avions envie de faire depuis longtemps.